Présentéisme : mesures, enjeux et solutions concrètes
On connaît bien l’absentéisme, souvent révélateur de problèmes de management, d’une politique RH inadaptée ou de conditions de travail dégradées dans une entreprise. Mais le présentéisme au travail, particulièrement répandu en France, passe souvent sous les radars. Or il peut également être porteur de lourdes conséquences. De quoi s’agit-il, comment le repérer et que faire pour s’en prémunir ? Voici un guide complet pour vous aider à éviter ce fléau.
Présentéisme au travail : de quoi parle-t-on ?
Présentéisme : une définition
Le présentéisme peut se définir comme la présence d’un salarié sur son lieu de travail alors que son état physique ou mental nécessiterait plutôt qu’il ne travaille pas. Les salariés concernés peuvent être malades, fatigués ou souffrir d’une importante démotivation qui n’est pas systématiquement liée à une maladie.
On peut distinguer différents « types » de présentéisme, chacune pouvant s’associer aux autres :
- Le collaborateur vient travailler pendant les horaires qui lui sont demandés, mais il produit peu, voire pas de travail concret ;
- Le salarié fait plus d’heures que demandé sans être productif, dans l’idée d’être vu et de donner une bonne impression à sa hiérarchie ;
- Le dernier cas, à l’inverse, repose sur un trop-plein de travail : le salarié fait plus que ses heures, enchaînant les heures supplémentaires, pour travailler plus alors que son état de santé ou sa fatigue devraient, au contraire, le contraindre à s’arrêter.
Quels que soient les aspects du présentéisme au travail chez une personne, celui-ci est néfaste tant à la vie de l’entreprise qu’à celle du salarié. C’est pourquoi il est important de savoir le détecter précocement.
Repérer le présentéisme au travail chez les salariés
Un manager attentif doit veiller à suivre les comportements de ses collaborateurs. Le présentéisme peut s’exprimer par un faisceau d’attitudes qui, cumulées, ne trompent pas. Voici les huit principales caractéristiques à guetter.
Arriver tôt et partir tard sans nécessité. Votre collaborateur est présent à son bureau avant tout le monde et retarde son départ au maximum en fin de journée. A-t-il trop de travail, n’a-t-il pas les qualifications pour ce qu’on lui demande, ou est-il partagé entre un manque de motivation qui produit une faible productivité et le besoin de montrer son engagement envers l’entreprise et le manager ?
Prendre des pauses prolongées. Les pauses fréquentes et longues peuvent être un signe de fatigue ou de démotivation, réduisant ainsi le temps productif. Loin d’un trait de paresse, ne s’agit-il pas plutôt d’un manque de motivation dont les origines peuvent être à rechercher dans le fonctionnement de l’entreprise ?
Participer à des réunions non essentielles. Un collaborateur peut assister à toutes les réunions disponibles pour éviter de s’engager dans des tâches plus exigeantes ou stressantes.
Réaliser des tâches non prioritaires. C’est l’autre versant de l’attitude précédente. Se concentrer sur des tâches mineures plutôt que sur les missions principales peut révéler la tentation d’éviter des responsabilités plus stressantes, ou un décalage de compétences entre tâches demandées et capacités techniques.
Venir travailler malgré la maladie. Ignorer les symptômes de maladie et continuer à travailler peut aggraver l’état physique et mental du salarié tout en réduisant ainsi son efficacité.
Se connecter à son travail et à ses mails professionnels en dehors des heures de travail. Travailler ou vérifier les courriels avant ou après les heures légales de travail peut indiquer une incapacité à la déconnexion, potentiellement révélatrice d’un stress important et d’un prochain burn-out.
Effectuer des tâches lentement. Prendre beaucoup plus de temps que nécessaire pour accomplir des tâches simples peut indiquer une démotivation ou un ennui profond (bore-out).
Utiliser internet à des fins personnelles. Passer du temps sur des sites non liés au travail ou sur son smartphone peut indiquer une baisse de motivation pour les missions professionnelles.
Les chiffres du présentéisme en France
Un présentéisme très présent en France
On estimait en 2021 que le taux de présentéisme dans les entreprises françaises touchait entre 6 et 9 % des salariés, un taux en progression depuis quelques années. Une étude réalisée par Malakoff Humanis mettait en évidence le fait qu’en 2019, 28 % des arrêts maladie n’avaient pas été pris, ou seulement partiellement. Parmi les explications à ce chiffre particulièrement important et inquiétant, quatre motivations principales sont à noter :
- 39 % des salariés viennent quand même travailler malades, car « ils ne veulent pas se laisser aller »,
- 37 % ne peuvent pas se permettre de perdre des jours de salaires à cause de la non-prise en charge des journées de carence,
- 22 % estiment qu’il leur est impossible de déléguer leurs tâches,
- Enfin 21 % craignent d’être surchargés au retour.
Hormis l’effet économique du délai de carence, trois des quatre motifs relèvent indubitablement du présentéisme et indiquent des mécanismes mentaux problématiques.
Des profils particulièrement professionnels ciblés par le présentéisme.
Même si le présentéisme frappe toutes les professions et les types d’emplois, on le trouve surreprésenté parmi les agriculteurs, les cadres, les jeunes actifs, désireux de prouver leur valeur, ou encore des salariés proches de la retraite. Ces collaborateurs ressentent une forte pression pour maintenir une présence physique au travail, même en cas de fatigue ou de maladie.
Il est intéressant de constater que le taux de présentéisme tel qu’il est évalué aujourd’hui dépasse le taux d’absentéisme mesuré à 6 % en 2022, selon Malakoff Médéric Humanis. De plus, l’absentéisme, mieux défini, est plus facilement détectable.
La France, un pays leader en matière de présentéisme ?
Il est particulièrement difficile de comparer les taux de présentéisme dans le monde. Des indicateurs épars permettent cependant d’avancer que la France est un pays particulièrement en proie à ce phénomène. Ainsi, en 2021, 62 % des salariés français sont venus au moins un jour travailler pendant un congé maladie, alors que dans l’ensemble de l’Union européenne, cela ne concernait que 42 % des salariés.
Autre indicateur, dans le monde, les Japonais sont sans doute le peuple qui travaille le plus : plus de 20 % des salariés travaillent plus de 49 heures par semaine, contre 16 % aux USA. Rien d’étonnant à ce que le nombre de burn outs soit le plus élevé au monde au Japon, et que de nombreux Japonais meurent de conséquences de leur travail.
Un fort coût du présentéisme pour l’entreprise
Compte tenu d’une définition assez vaste et d’indicateurs difficiles à cerner, on ne peut que donner des estimations très imprécises de ce que coûte le présentéisme dans les entreprises. Certains cabinets ont essayé, comme le cabinet Midori qui donnait en 209 une fourchette comprise entre 14 et 24 milliards d’euros par an. Pour comparaison, le coût de l’absentéisme est, quant à lui, estimé à 25 milliards par an selon plusieurs sociétés d’études.
Quelles sont les conséquences du présentéisme ?
Le présentéisme est, on l’a vu, un problème inquiétant, dont les conséquences touchent à la fois les salariés qui en sont atteints, et leurs entreprises.
Des entreprises qui perdent en productivité
En effet, un climat de présentéisme dans une entreprise, à savoir des comportements tels que décrits plus haut chez un nombre significatif de salariés (par exemple des attitudes répétitives sur 3 % de l’effectif global ou plus), est porteur de nombreux risques économiques et sociaux.
Une baisse de productivité. Des salariés présents, mais travaillant peu voire pas du tout, car malades ou totalement démotivés ne contribuent pas à développer le chiffre d’affaires d’une entreprise. Cela entraîne un ralentissement des projets et, si le cas est fréquent, une baisse de productivité qui impacte directement les résultats financiers et le bon fonctionnement de l’organisation.
L’augmentation des erreurs et des accidents. Des collaborateurs en état de fatigue ou de démotivation sont plus susceptibles de commettre des erreurs. Pour les tâches physiques, le présentéisme peut conduire à des accidents dus à l’inattention ou à une faiblesse passagère. La répétition d’erreurs peut aussi nuire à la qualité des produits ou aux services proposés.
Une dégradation du climat social. Les collègues d’un « présentéiste » doivent souvent compenser sa baisse de productivité, ce qui peut entraîner des conflits et une détérioration de l’ambiance générale. Un mauvais climat social peut à son tour engendrer une démotivation généralisée et une baisse de la cohésion d’équipe.
Une mauvaise image de marque employeur. Une entreprise qui tolère le présentéisme et ses conséquences sur la qualité du travail et sur la productivité peut rapidement souffrir d’une mauvaise image de marque employeur. Cela dissuade de futurs talents de rejoindre une entreprise où la santé au travail n’est pas une priorité.
Le présentéisme, une maladie qui ne dit pas son nom
Un salarié pratiquant le présentéisme est souvent dans un état de santé dégradé. Cela a donc des conséquences directes sur sa vie.
Une dégradation de l’état physique et mental. Le présentéisme est d’une certaine manière un appel à l’aide. L’ignorer ne peut qu’aggraver l’état de santé des salariés. La fatigue accumulée et le stress non traité, par exemple, peuvent mener à des problèmes de santé chroniques, et aboutir à un burn-out reconnu comme maladie professionnelle.
De la démotivation. La persistance à travailler malgré des conditions défavorables peut entraîner une perte de motivation. Les salariés ne se sentant pas reconnus ni soutenus peuvent développer une insatisfaction au travail qui conduit à une forte démotivation. L’ensemble de ces facteurs sont propices à des états dépressifs.
Un risque accru de maladies. Travailler en dépit de la maladie ou de la fatigue expose les collaborateurs à des risques physiques et psychologiques supplémentaires. Ils sont plus susceptibles de souffrir de maladies graves ou chroniques.
Un impact sur la vie personnelle. Le présentéisme affecte également la vie personnelle des collaborateurs. L’incapacité à déconnecter du travail peut entraîner des tensions familiales, un manque de temps pour les loisirs et une dégradation de la qualité de vie. Cet équilibre perturbé entre vie professionnelle et personnelle peut aggraver le stress et la fatigue.
7 facteurs qui favorisent l’apparition de présentéisme
Pour parvenir à prévenir le présentéisme, il est important d’éliminer dans votre entreprise des facteurs connus pour le favoriser. Voici les 7 éléments principaux qui y contribuent.
1. Une culture d’entreprise axée sur la présence. Un management qui valorise la présence physique au bureau, est très strict concernant les absences et les congés, et réticent au télétravail, est susceptible d’encourager le présentéisme. Les salariés peuvent se sentir obligés de montrer leur dévouement en étant présents même lorsqu’ils ne sont pas en état de travailler efficacement.
2. La pression hiérarchique. Exercer une trop forte pression sur ses collaborateurs pour maintenir la productivité s’avère souvent contre productif. Ne pas prendre d’arrêt maladie et venir travailler en piètre condition présente un double désavantage : le salarié travaille mal, puisqu’il est malade. Et ne se reposant pas, il va dans une majorité de cas être obligé de s’arrêter in fine, et plutôt longuement.
3. Le manque de reconnaissance. Devant une absence de reconnaissance des efforts par sa hiérarchie, il existe plusieurs voies de réaction. L’indifférence qui pousse. A continuer son travail sans rien attendre, et à le quitter dès qu’on a trouvé mieux Le silent quitting, qui consiste à en faire le minimum, pendant les heures de bureau. Et la surcompensation : l’attitude du management pousse certains salariés à être toujours plus présents physiquement pour prouver leur engagement.
4. L’inquiétude sur la sécurité de l’emploi. Soit la société est en mauvaise posture économique, soit il s’agit d’un management toxique par la peur. Pour éviter de perdre leur emploi, certains salariés vont maintenir une forte présence continue au travail, même en cas de maladie.
5. Un surcroît de travail non compensé. Une charge de travail excessive sur du long terme et des objectifs irréalistes peuvent forcer les salariés à allonger leurs journées de travail et à multiplier le stress pour tenter de tout accomplir. Cette surcharge entraîne une fatigue accrue et un risque de burn-out.
6. Une politique de compétition interne. Une atmosphère de compétition entre les collaborateurs pousse les plus ambitieux à prouver par une présence accrue qu’ils sont plus dévoués que les autres. Cette compétition peut mener à une dégradation du climat social.
7. L’insatisfaction au travail. Un environnement de travail peu valorisant ou ennuyeux, des politiques RH mal adaptées, l’absence d’un système de récompenses et de promotions peuvent conduire les employés à être physiquement présents sans véritablement s’engager dans leurs tâches.
Comment prévenir le présentéisme ?
Mesurer le présentéisme
L’une des méthodes pour évaluer l’engagement des salariés, et indirectement le présentéisme, est l’eNPS(Employee Net Promoter Score) qui évalue la disposition des collaborateurs à recommander leur entreprise, ce qui peut refléter leur satisfaction et leur engagement. Un eNPS élevé indique généralement un bon climat social et une faible tendance au présentéisme.
Une autre méthode consiste à se plonger dans les chiffres :
- Arrêts de travail non pris ou partiellement utilisés,
- Nombre d’erreurs/d’accidents,
- Qualité de la production ou des services,
- Niveau de productivité…
C’est un travail complexe qui peut aboutir à un tableau de bord parlant. En fonction de l’évolution des indicateurs, on peut suivre l’impact des mesures mises en œuvre pour lutter contre le présentéisme.
Nos 8 idées pour prévenir le présentéisme
Agir sur ce qui dysfonctionne dans l’entreprise doit aller de pair avec la mise en œuvre de mesures destinées à traiter le problème du présentéisme, surtout s’il est apparu qu’il est bien ancré dans la culture de la société. Voici 8 idées qui contribueront à sensiblement améliorer la situation.
1. Promouvoir un équilibre vie professionnelle/vie personnelle
Il s’agit d’encourager vos collaborateurs à déconnecter après le travail et à prendre leurs congés. Une bonne organisation du travail et des horaires flexibles peuvent grandement y aider. Généraliser le télétravail, organiser des formations sur la gestion du temps, ce sont des réponses efficaces au présentéisme.
2. Engager une politique de qualité de vie et de conditions de travail
Vous pouvez créer un environnement de travail agréable et ergonomique pour réduire les risques physiques et améliorer la santé au travail. Des espaces de détente et des équipements adaptés — chaises ergonomiques, bureaux ajustables… — peuvent augmenter la motivation et la productivité, en valorisant les salariés.
3. La reconnaissance et les récompenses
Reconnaître et récompenser les efforts des salariés de manière régulière est une clé pour motiver le personnel. Cela améliore l’implication et réduit l’insatisfaction au travail, encourageant ainsi une présence saine et productive. Système clair de promotions, bonus en cas de bonne productivité, félicitations informelles des managers ou plus formelles de la direction sont un vecteur de motivation.
4. La formation des managers au management bienveillant
Cela consiste à former les managers à détecter les signes de présentéisme et à soutenir leurs équipes de manière proactive. Un bon management peut instaurer la confiance et prévenir la démotivation.
5. Une communication fluide et sincère
Vos collaborateurs ne doivent pas découvrir les décisions et changements au dernier moment. Une bonne communication, anticipative et honnête, renforce la confiance et l’implication des salariés.
6. Réguler la charge de travail
Assurer une répartition équitable de la charge de travail pour éviter le surprésentéisme et la fatigue n’est pas toujours aisé. Les managers doivent pourtant distribuer de manière équilibrée les tâches à leurs différents collaborateurs. Des évaluations régulières de la charge de travail permettent ensuite de réajuster celle-ci au mieux.
7. Consolider une culture d’entreprise positive
Vos collaborateurs doivent savoir que vous cherchez à valoriser leur bien-être et leur épanouissement professionnel. Une culture positive et inclusive favorise la motivation et est à même de réduire les comportements de présentéisme. Vous pouvez organiser des événements de team building ou offrir des programmes de bien-être.
8. Offrir un soutien psychologique
La mise en place d’un programme de soutien psychologique permet d’aider les salariés à gérer le stress et les problèmes personnels. Un accès facile et anonyme à des services de counseling peut prévenir le présentéisme, le burn-out et le bore-out.